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"De l'abondance à nos jours, avec le même soucis de l'exigence… Ou une vie d'un chasseur professionnel en Afrique"

Christian De Tudertt

Dans tous les récits et conversations de chasse dans le monde, on entend toujours parler de réussites splendides, de tableaux remarquables, etc., etc. et les safaris africains sur ce registre ne sont pas en retard, loind de là. Il ne s'agit bien souvent que de trophées d'exception, obtenus dans des circonstances presques incroyables, d' une maitresse balle à un moment choisi, etc. etc…

Tout cela est souvent vrai bien sűr, mais ce qui est de loin le plus fréquent, c'est le silence pesant, ou tout simplement l'omission de faits moins glorieux inhérents à toute entreprise humaine, oů chacun le sait, la perfection n'existe pas.

Je vais donc vous entretenir des erreurs et incidents de chasse particulièrement liés au tir qui peuvent survenir lors d'un safari - 13 jours ou 21 jours de chasse en général – erreurs imputables au professionnel ou au chasseur mais dont le guide de chasse est le premier responsable comme organisateur : c'est lui qui commande et dirige, et de plus cela présente la seule possibilité d'amélioration.

Fort heureusement, beaucoup de safaris, ne connaissent aucun probléme, je m'empresse de le dire, quand ceux-ci sont guidés par un professionnel pour qui l'éthique de la chasse et le respect des animaux sont des régles absolues et un Idéal. A savoir : On réussit, on ne réussit pas, mais on ne transgresse pas, on ne transige pas, on ne déroge à rien.

Pourtant malgré cela, en prenant le plus de précautions possibles – d'abord dictées par le bon sens puis renforcées par l'expérience - nous en reparlerons, l'erreur, la malchance peuvent survenir sous la forme, par exemple, d'un aléa imprévisible.

Une étude et une réflexion de ce genre pour ętre crédible doivent obligatoirement porter non sur un ou quelques safaris mais bien sur de nombreux répartis sur une période la plus longue possible.

Ici je vous la livre sur 45 années de brousse passées dans différentes régions de différents pays africains – ceci est important – pendant lesquelles j'ai guidé mes 336 safaris.

Concernant les éléphants, les lions, les élands de derby, les bongos, les léopards, les hylochères et les koudous – d'Afrique de l'ouest et de l'est – et les hippopotames j'en connais le chiffre exact.

Pour ce qui est des autres animaux, à commencer par les buffles, c'est sérié de prés mais cependant approximatif. La raison en est que mes notes et archives ont disparues dans le pillage de Bangui en 1996. En ce qui concerne les buffles, car jamais répertoriés, ils étaient si nombreux dans le nord de la RCA entre 1960 et 1970 qu'ils représentaient la base de la chasse et le ravitaillement. Durant un safari nous en rencontrions entre 2000 et 2500. On ne faisait que les choisir, et le quota d'abattage était le triple de la moyenne des grands animaux.

Nous n'y attachions pas grande importance ; est-ce nécessaire de dire que nous avions tort !

Les Chiffres ci-dessous comprennent ce que j'ai fait tirer et ce que j'ai obtenu personnellement. Il va sans dire que mon apport personnel est plus qu'insignifiant, sauf pour les éléphants.

Christian De Tudert

Hippotragues : Une bonne centaine de tirés. Perdus 2, erreurs femelles 3

Bubales et damaliques : bien sűr, les premiers ont un chiffre beaucoup plus élevé vu l'animal et le nombre de safari – la proportion d’erreur et de perte est dans celle des hippotragues.

En ce qui concerne les cobs divers, Defassa, Buffon, Redunca et les guibs, de męme pour les phacochères, ouribis et céphalophes, nous en avons perdus dans des proportions trés faibles, et cela pratiquement toujours en début de saison, à cause des immensités de paille non encore brulées. Quant aux erreurs, elles ne peuvent qu'ętre infimes vu la facilité d'identification de ces espèces.

De ce pourcentage obtenu, bien sûr imparfait, chacun se fera une idée et en pensera ce qu'il voudra. La seule chose que je tienne à dire c'est qu'il fut obtenu avec une rigueur extręme, de chaque instant, lors du dérouelement de la chase, et principalement à l'instant du tir.

Egalement ce que je tiens à ajouter, c'est qu'il fut obtenu en trés grande partie à une époque complétement opposée à celle actuelle. A savoir énormément d'animaux pas stressés, peu braconnés donc rarement blessés, et ou le chasseur était moins pressé et avait en général une appréciation différente sur la réussite et un safari réussi, ce qui n'est pas la męme chose. Epoque qui le permettait, tout était tellement plus facile !!

Un safari débute par une mise en confiance, je parle pour les chasseurs qui viennent pour la premiére fois, et si cela est nécessaire. Puis en étudiant ce qu'ils souhaitent, ce qu'ils espèrent en adaptant au mieux ce qui est possible, envisageable, vu aussi bien leurs conditions physiques que leur capacité au tir par exemple et leur émotivité. Tout cela bien sűr avec les possibilités du secteur de chasse.

Venons-en à l'armement. Cela commence par le calibre adapté aux animaux convoités avec un surcroit de puisssance qui dans la plupart des cas paliera à une légère imprécision. Au passage il faut noter que la réglementation de la chasse africaine interdit le tir de tout animal lourd avec des calibres inférieurs à 8mm.

Cette réglementation simple est parfaitement justifiée. Cela coupe court à tous ces calibres rapides et puissants sur le papier ainsi qu’à tous ceux moins haďssables il est vrai qui bordaillent le 8mm mais qui ne le font pas !!

Heureusement maintenant 8 chasseurs sur 10 viennent avec ce calibre fantastique qu'est la 375 HH magnum (9,5x72) et les autres avec des armes de calibre similaire ou plus puissants.

Un safari de chasse est avant tout un sport, une distraction, une belle aventure. Ce n'est pas une épreuve de survie, et si l'animal est manqué, n'est pas tiré ou absent aujourd'hui, chacun cependant aura à manger le soir.

C'est peut ętre simplet mais bon à rappeller, sans jamais oublier que l'obtention d'un trophée quel qu'il soit ne peut ętre faite que dans les régles, c'est à dire comme rappellé plus haut, dans le respect sans faille des animaux et de la déontologie.

Ainsi fidéle à cette éthique, le chasseur va tirer appuyé, soit sur un “ stick ”, soit sur un appui naturel : rocher, arbre, termitié’re. Il tirera sur un animal arręté ou au pas qui lui aura été expressement désigné par le guide et aprés que celui-ci se soit bien assuré que ce dernier a parfaitement situé et compris de quel animal il s'agit. De plus on ne doit jamais « tenter » une balle, mais bien au contraire l'assurer.

Si l'animal est seul pas de problęme. Si par contre il est en troupeau ou męme en compagnie, il faut qu'il soit isolé des autres animaux, sous un bon angle, et surtout qu'il ne s'en trouvent pas derriére lui sinon le risque serait beaucoup trop grand pour en autoriser le tir.

Christian De Tudert

Seul le guide est habilité à désigner l'animal à tirer et à en donner l'autorisation. Dans les mauvaises équipes de chasse ou les pisteurs pour des raisons disons « diverses » sortant de leur fonction s'en mélent, « le résultat » ne se fait pas attendre.

Le ou les pisteurs n'ont rien à faire dans la phase finale. La désignation et l'autorisation de tir, je le répéte revient au professionnel.

Par contre il a pu avant celle-ci avoir recours à un renseignement, à une information, solliciter un avis, car ceci est avant tout un travail d’équipe. Un Guide de chasse sans pisteur est aussi démuni pour une chasse digne de ce nom, que des pisteurs (je parle des meilleurs) sans guide.

Je reviens sur l'appui pour tirer. En brousse, il faut toujours faire tirer appuyé et animaux arrętés ou au pas. A cela j'ai connu seulement deux exceptions dans ma vie professionnelle capable de pouvoir assurer autrement – sur plus de 500 chasseurs. Je ne vois que la foręt pour tirer à bras franc. Il en est bien sűr autrement sur un animal blessé, en fuite, ou qui viens vers vous. Mais là, nous entrons dans le rôle du guide de chasse.

Est-ce nécessaire de dire qu'aprés un tir sur un animal, à moins d'avoir vu l'impact à côté d'une maniére certaine, nous allons voir.

L'absence de raisonnance de la balle ou le manque de réaction du sujet ne suffit aucunement, et là, il arrive que l'on soit bien surpris, soit sur le lieu męme, soit aprés avoir suivi sur quelques dizaines de métres, chose que nous faisons toujours.

A moins d'ętre énorme, une perte de sang męme importante ne veut pas dire grand-chose sur la gravité de l'atteinte. Sa couleur, oui. Une tęte d'épingle de sang tous les 20 métres et l'animal peut ętre gravement touché. Il n'est pas besoin de trouver des bulles de sang, une esquille ou de l'eau pour continuer.

Car là, une seule conduite s’impose et quel que soit l'animal tiré : suivre, pister, remonter pour apprendre et malgré la fatigue, les difficultés, ne jamais lâcher. En Agissant ainsi, il est bien rare de ne pas connaître ce qu'il en est réellement et de pouvoir au mieux solutionner la question.

TROPHEE

Quand il y a hésitation sur un trophée : taille, qualité, adulte ou encore jeune, voire identification, ne vous tracassez pas, cela ne vaut pas grand-chose, car un beau mâle, voir d’exception, cela « éclate » en brousse.

En persistant, vous allez faire une erreur ou obtenir bien peu ! Je sais, c’est facile à dire, peut ętre męme déplacé à notre époque ou cette rencontre sera peut ętre la seule du safari. Encore une fois, il faut savoir ce que l'on veut.

En ce qui concerne de doubler pour le guide de Chasse, c'est et cela sera toujours une question délicate et difficile. Disons que les situations et le contexte peuvent ętre si variés que la réponse sera d’essayer d'avoir toujours la meilleure réaction au probléme posé, à l'aide de son bon sens et de son… expérience.

Je ferai une parenthése en ce qui concerne l'éléphant de savane, vu le nombre d'éléphants perdus dans ce biotope ou cela ne devrait pratiquement jamais arriver.

La cause en est que le professionnel au moment du tir du chasseur au cerveau s'est abstenu de doubler dans le męme temps dans la région du cœur, poumon.

Si la balle au cerveau est bonne, l'éléphant est foudroyé sur place, si la balle est mauvaise, il partira pour tomber ou s’arręter plus loin et vous ne le perdrez pas.

Par contre si vous attendez de voir le résultat du tir du chasseur, l’éléphant ayant des réactions d'une rapidité inouie pour volume, il ne vous restera bien souvent que son ventre ou son arriére train (sans compter les problémes d'environnement) et là, si vous faites l'erreur de tirer sous ces angles, vous avez toutes les chances non seulement de le perdre, mais de le faire mourir aprés une longue et douloureuse agonie !

C’est ainsi que j'ai perdu avec un ami chasseur mon seul éléphant. J'ai voulu voir et je n'ai pas pu le doubler vu sa réaction. Je l'ai suivi, suivi avec un pisteur jusqu'au soir. Peut-ętre, je le pense, car mon chasseur l'ayant incontestatblement tiré dans la tęte s'en sera-t-il sorti aprés un fort mal au crane ? Cependant les balles n'ont jamais été une cure de jeunesse. Mea Culpa.

Ainsi donc pour moi, aucune ambiguité. En savane, cela ne se discute pas ; on se doit de doubler. Si le chasseur ne l'accepte pas (Et là on se demande bien pourquoi) il faut refuser de faire tirer.

Christian De Tudert

Toutes ces précautions prises durant un safari n'empęcheront pas que de temps en temps (Je ne parle plus d’éléphant) une bęte parte blessée. Alors ce sera avec beaucoup plus d'informations au départ la répétition de ce qui est éxpliqué plus haut.

Une équipe bien formée, bien soudée et passionnée, mettra un point d'honneur à retrouver le sujet atteint dans une recherche parfois longue et harassante, bien souvent éblouissante des pisteurs. Mais quelle récompense pour tous !

Cependant en agissant ainsi, on a été que simplement fidéle au fait que quand on s'arroge le droit de tuer, on a par la męme occasion contracté le devoir incontournable de le faire le plus létalement possible, et dans le cas d'un animal blessé, quel qu'il soit, de tout faire pour mettre fin le plus rapidement à ses souffrances.

Le devoir d'un guide de chasse d'autant plus qu'il est à l'Association des Guides de Chasse professionnels, car il en a choisi l'idéal et les régles/ celles de donner des prestations de qualité pour une bonne réussite d'un safari, à travers une éthique, une déontologie et un respect sans faille dans tout ce qui le compose et l'environne.

Tout cela, loin d'ętre une contrainte ne fait que magnifier une profession splendide et d'exception. En dehors de cela, la chasse n'existe pas et cette action dépourvue de ce qui est précité doit porter un autre nom mais jamais celui-ci.

Pour ętre concis, je dirais seulement AGIR ET CHASSER DANS L'HONNEUR

Ce qui est certain c'est que quand je vois ici, en France, dans ma région de Touraine pour (ne pas) la citer, la façon dont se déroulent en général les chasses au grand gibier ou les « Présidents » comme les responsables sont pour beaucoup des irresponsables, j'en ai la nausée ; mais ceci est une autre affaire.

Je dédie ces quelques lignes, essence et résumé de ce que fut ma vie professionnelle à mon maitre et ami Jean d’Orgeix, à mes compagnons africains tel que Félix Doté, et à ces pisteurs prestigieux que furent Issaka, Robert, Djémé, Abelazize, Irima, Issa, Maurice, Amadjoda, Jean Louis, Ali, Aba.

Avec toute mon admiration et ma reconnaissance.

Christian De Tudert

P.S. : Le titre de ce compte rendu et réflexions est de notre ami Xavier Péchenart aprés en avoir lu la réędaction.